Le divorce peuvent être terriblement pénalisant pour un chef d’entreprise : au plan financier, tout d’abord, puisque le patrimoine commun va être partagé à l’issue de la procédure entre les conjoints, mais également au niveau du fonctionnement de l’entreprise elle-même qui peut être bloqué, et son activité menacée, si un désaccord persiste entre les futurs ex-époux.
L’entreprise représente l’outil de travail du chef d’entreprise, il a œuvré, souvent seul, pour la créer et la développer. La partager avec son conjoint en cas de séparation peut avoir des conséquences dramatiques pour lui.
Le régime matrimonial choisi par les époux va être la pierre angulaire de la réflexion sur les conséquences du divorce. Nous avions présenté dans un précédent article (“Pourquoi et comment changer de régime matrimonial ?”) de quelle façon le régime matrimonial régit la vie patrimoniale dans le couple. De la même façon, il va guider la méthode à appliquer pour répartir le patrimoine commun en cas de divorce.
Lire aussi : Comment accompagner le chef d’entreprise dans la gestion de son patrimoine ?
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Les conséquences du divorce en fonction du régime matrimonial du chef d’entreprise
Le chef d’entreprise est marié sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts
Lorsque le couple n’a signé aucun contrat de mariage, le régime légal qui s’applique par défaut en France est celui de la communauté réduite aux acquêts. Ce régime matrimonial concerne une grande majorité de couples en France.
Il prévoit deux catégories de biens (C. civ., art. 1400 et s.) :
- les “biens propres”, c’est-à-dire tous les biens meubles et immeubles dont l’époux est propriétaire avant le mariage et le reste après celui-ci, ainsi que ceux qu’il a reçus par donation, succession ou legs pendant le mariage ;
- les “acquêts de la communauté” qui sont les biens communs aux époux, acquis par eux pendant le mariage, ensemble ou séparément, et provenant de leur travail et des revenus de leurs biens propres. La loi répute acquêts de communauté tous les biens acquis pendant le mariage, sauf à prouver qu’il s’agit d’un bien propre. Les revenus générés pendant le mariage (qu’ils proviennent de biens propres ou de biens communs) font ainsi partie de la communauté.
Ainsi, en fonction de la date à laquelle l’entreprise a été créée, 3 situations peuvent se présenter en pratique.
L’entreprise a été créée avant le mariage
L’entreprise créée avant le mariage constitue un bien propre du chef d’entreprise dans le régime de la communauté réduite au acquêts.
Il administre seul son entreprise et son conjoint n’a aucun droit dessus en cas de divorce.
Il peut s’agir :
- d’une entreprise individuelle si le conjoint exploitant est un travailleur indépendant (commerçant, artisan ou profession libérale) ;
- ou d’une société si le conjoint exploitant a logé son activité professionnelle sous la forme sociale (EURL, SARL, SAS, …).
L’entreprise a été créée pendant le mariage avec des fonds communs
L’un des époux crée son entreprise individuelle ou sa société pendant le mariage et la finance au départ avec des fonds communs (des salaires épargnés par exemple).
Dans cette situation, ce bien fait partie de la communauté entre époux et le conjoint non-exploitant est propriétaire de 50 % de l’entreprise ou de la société.
En cas de divorce, il aura droit à la moitié de celle-ci ou à être indemnisé à hauteur de ce montant.
On comprend ici pourquoi ce type de régime matrimonial est déconseillé aux travailleurs indépendants (commerçants, libéraux, artisans) et aux dirigeants d’entreprise.
L’entreprise a été créée pendant le mariage avec des fonds propres
L’entreprise est créée pendant le mariage et le chef d’entreprise l’a financée avec des fonds propres. La société est par exemple constituée avec des apports en numéraire issus de fonds propres provenant d’une donation faite par les parents, d’une succession ou de la vente d’un bien propre.
Pour que l’entreprise ait bien la nature d’un bien propre, et qu’il n’y ait aucune contestation ultérieure à ce sujet, il est primordial d’établir une déclaration de remploi devant notaire afin de prouver l’origine des fonds et qu’elle n’entre pas dans la communauté (C. civ., art. 1434).
Lorsqu’un époux emploie des biens communs pour faire un apport ou acquérir des parts sociales,, il y a 3 conséquences : 1. Il doit obligatoirement avertir son conjoint de cette utilisation de biens communs, et l’origine des fonds doit être justifiée dans l’acte d’apport ou d’achat. Ensuite, son conjoint peut revendiquer la qualité d’associé sur la moitié des parts dans l’entreprise. Il suffit pour cela de notifier la société à partir de sa création ou à l’acquisition des parts, et jusqu’à la dissolution de la communauté (C. Civ., art. 1832-2). Cette épée de Damoclès pèse sur la tête du dirigeant jusqu’à la fin de la procédure de divorce. D’autant que si le conjoint non-exploitant revendique la qualité d’associé, il peut exiger d’exercer son droit de vote, paralyser le fonctionnement des organes sociaux, diluer le poids du chef d’entreprise dans la prise de décision, peut-être même faire pression sur lui dans le cadre de la procédure de divorce. 2. Le chef d’entreprise ne pourra céder les parts de son entreprise sans l’accord de son conjoint, même s’il est officiellement le seul associé. 3. A l’issue de la procédure de divorce, le chef d’entreprise devra racheter à son conjoint la moitié de son entreprise s’il ne souhaite pas rester en indivision, l’estimation de sa valeur étant alors source de conflits, chacun ayant des intérêts divergents. Le divorce engendre souvent des problèmes de trésorerie dans le couple (en général pour celui qui souhaite conserver le logement de la famille, mais aussi on le comprend, en présence d’une entreprise). Le chef d’entreprise qui souhaite racheter la moitié de son entreprise pourra être amené à solliciter un prêt auprès de sa banque tandis que son patrimoine pouvant être mis en garantie aura été divisé par deux. |
Le chef d’entreprise est marié sous un régime communautaire conventionnel
En marge de la communauté légale, il existe des régimes matrimoniaux communautaires conventionnels (c’est-à-dire qu’un contrat de mariage doit être établi devant notaire avant ou pendant le mariage pour pouvoir l’appliquer) : la communauté universelle et la communauté de meubles et d’acquêts.
Nous vous renvoyons à notre article sur les régimes matrimoniaux pour plus de détails.
Ces régimes vont créer une communauté de biens entre les époux qui va s’étendre à tous les biens (ou certains d’entre eux selon leur nature) qu’ils aient été acquis pendant ou avant le mariage, chacun des époux étant propriétaires pour moitié.
Certains biens restent malgré tout des biens propres en raison de leur nature personnelle tels que les vêtements ou les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux (à moins qu’ils ne soient l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation faisant partie de la communauté) (C. civ, art. 1404).
Il est toujours possible pour les époux d’aménager ces règles en excluant formellement de la communauté certains biens clairement identifiés dans le contrat de mariage. Une société appartenant à l’un des époux pourrait faire partie de ces exclusions. Dans le cas contraire, en cas de divorce, le conjoint non-exploitant pourra demander à être indemnisé, ce qui peut représenter un coût important à supporter pour le dirigeant.
Le chef d’entreprise est marié sous un régime séparatiste
Dans les régimes matrimoniaux dits “séparatistes”, chaque époux reste propriétaire de ses biens acquis avant et pendant le mariage, il les administre seul et reste personnellement responsable des dettes qu’il contracte. En principe, il n’existe pas de patrimoine commun (1) sauf lorsque les époux l’ont formellement décidé (2).
Le chef d’entreprise est marié en séparation de biens
Dans le régime de la séparation de biens, il n’y a que des biens propres (acquis avant et pendant le mariage), sauf si les époux décident d’acquérir un bien ensemble (le bien est alors en indivision) dans les proportions et modalités qu’ils décident ensemble.
Les conséquences du divorce du chef d’entreprise sont assez simples dans ce cas. A la dissolution du mariage, chacun reste propriétaire de ce qui lui appartient et aucun partage n’est à effectuer (voir toutefois plus loin la question de la prestation compensatoire).
Le conjoint non-exploitant n’a aucun droit sur l’entreprise du conjoint exploitant.
Le chef d’entreprise est marié sous le régime de la participation aux acquêts ou de la société d’acquêts
Dans ces régimes hybrides, à mi-chemin entre la séparation de biens et la communauté réduite aux acquêts, les époux vont indiquer dans leur contrat de mariage comment ils souhaitent fonctionner.
Il est conseillé d’exclure les biens professionnels dans la convention afin que l’outil de travail d’un conjoint n’entre pas dans la créance de l’autre et soit intégralement conservé.
En principe, le conjoint peut manifester le désir de devenir associé dès la constitution de l’entreprise. Néanmoins, s’il n’a pas renoncé à ce droit, il a toujours la possibilité de revendiquer ce statut ultérieurement. Cette revendication fait souvent suite à la procédure de divorce.
Les autres conséquences en cas de divorce du chef d’entreprise
La question de la prestation compensatoire
Comme nous l’avons vu plus haut, le régime séparatiste protège, en principe, le chef d’entreprise en cas de divorce mais il faut tenir compte de la prestation compensatoire qu’il peut être amené à verser à son ex-conjoint.
La prestation compensatoire est la somme versée par un des ex-conjoints à l’autre et qui permet d’effacer les déséquilibres financiers causés par le divorce dans les conditions de vie des ex-époux. Pour son calcul, il sera tenu compte de la disparité du niveau de vie entre les époux.
Si le chef d’entreprise est tenu au versement d’une prestation compensatoire et qu’il ne dispose pas de la trésorerie nécessaire ou de la capacité d’emprunter cette somme, il pourrait être amené à vendre certains actifs pour s’acquitter de sa dette, ce qui fragilise évidemment sa situation financière et professionnelle.
Le droit de partage
Le coût d’un divorce est souvent méconnu à l’avance des conjoints. Il peut pourtant être rédhibitoire. Le droit de partage est dû sur la somme des biens communs et indivis à partager… s’il y a partage !
En effet, lorsque des époux engagent une procédure de séparation de corps ou divorcent (ou lorsque des partenaires de PACS se séparent), il faut faire l’inventaire des biens communs et indivis, et les répartir entre les ex-conjoints. On procède à ce qu’on appelle la liquidation de la communauté.
Deux possibilités s’offrent à eux :
- les époux choisissent de partager les biens communs et indivis entre eux. Chacun deviendra donc seul propriétaire des biens qu’il se verra attribuer (le logement familial, les meubles meublants, les liquidités…). L’avocat qui rédigera la convention de divorce et le notaire rédacteur de l’état liquidatif et de l’acte de partage (obligatoire s’il y a des biens immobiliers) vont devoir indiquer l’ensemble des biens concernés par le partage et la répartition qui sera faite entre les ex-conjoints.
A cette occasion, un droit de partage de 1,10 % devra être acquitté sur la valeur des biens partagés (CGI, art. 746).
Ce taux était fixé antérieurement à 2,50 %, puis à 1,80 % à compter du 1er janvier 2021 et ramené à 1,10 % depuis le 1er janvier 2022.
Exemple : Si le patrimoine commun du couple s’élève à 3 000 000 €, le droit de partage à acquitter sera de 33 000 €. - les époux peuvent décider de ne pas procéder au partage des biens dans la convention de divorce et de rester en indivision. Dans ce cas, une convention d’indivision doit obligatoirement être rédigée (par acte sous seing privé ou notarié en présence de biens immobiliers).
Cette solution transforme les biens communs en biens indivis et permet d’éviter le droit de partage au moment du divorce. Si les biens sont ultérieurement vendus, le prix de vente sera partagé entre les ex-époux sans avoir à acquitter le droit de partage.
Bien entendu, rester en indivision avec son ex-conjoint implique tout d’abord une bonne entente relative et que les biens s’y prêtent. L’entreprise individuelle ou la société de l’un des conjoints est clairement un bien délicat. En outre, il peut ne pas être psychologiquement acceptable de faire profiter son ex-conjoint de ses efforts quotidiens…
Le sort du conjoint collaborateur ou du conjoint salarié
Lorsque le conjoint du chef d’entreprise participe de manière régulière à l’activité professionnelle, il est obligatoire de lui choisir un statut : conjoint collaborateur, conjoint salarié ou conjoint associé (C. com., art. L 121-4 s.).
Si aucun statut ne lui est attribué, le chef d’entreprise se rend coupable de travail dissimulé et encourt des amendes administratives et des sanctions pénales. Bien évidemment, cette situation vise les conjoints qui vont au-delà de la simple entraide familiale.
Que recouvrent ces différents statuts et que se passe t’il en cas de divorce ?
- Le conjoint salarié est le conjoint qui dispose d’un contrat de travail dans l’entreprise et dispose des mêmes droits que n’importe quel autre salarié (rémunération au minimum au SMIC, congés payés, lien de subordination…).
En cas de divorce, son contrat est maintenu, le divorce n’étant pas une cause réelle et sérieuse de licenciement.
- Le conjoint collaborateur est un statut particulier puisqu’il n’est pas rémunéré pour le travail qu’il accomplit au sein de l’entreprise. L’option pour ce statut est ouverte dans les entreprises constituées sous l’une des formes suivantes : entreprise individuelle, EIRL (statut qu’il n’est plus possible d’utiliser depuis le 15 février 2022 mais les EIRL constituées avant cette date continuent d’exister), EURL, et SARL. En revanche, l’option est interdite dans les autres types de sociétés (SA, les SAS, les commandites, les sociétés en nom collectif…).
L’intérêt de l’option pour ce statut réside dans la possibilité pour le conjoint collaborateur de bénéficier d’une protection sociale et de se constituer des droits propres en matière de retraite de base et complémentaire, d’invalidité-décès et de formation professionnelle continue.
En cas de divorce, le statut de conjoint collaborateur prend fin.
- Le conjoint associé est le conjoint qui détient des parts dans la société de son conjoint.
En cas de divorce, il pourra rester associé de la société sauf si une clause particulière dans les statuts en prévoit différemment. Ainsi, une clause de “buy or sell” permet à l’un des associés de contraindre l’autre à lui racheter ses parts ou à lui vendre les siennes. Si la société est prospère, il est même possible d’envisager qu’elle rachète les parts du conjoint et procède à une réduction de capital. Tout est question d’anticipation !
Retraite et divorce : la pension de réversion
Même après le prononcé du divorce, l’ex-conjoint du chef d’entreprise continue à avoir des droits… Ainsi, si le chef d’entreprise prend sa retraite et vient à décéder, son ex-conjoint a droit à une pension de réversion (c’est-à-dire une quote-part de la pension de retraite du défunt).
Les conditions posées pour avoir droit à la pension de réversion divergent selon les caisses de retraite auxquelles le chef d’entreprise avait été affilié :
- Âge minimum : Un âge minimum du conjoint survivant est requis (55 ans dans le régime de base ou l’AGIRC-ARRCO, 62 ans dans certains régimes complémentaires comme celui de la CIPAV) ;
- Situation personnelle : certaines caisses exigent que le conjoint ne soit pas remarié ;
- Ressources : certaines caisses exigent que les ressources de l’ex-conjoint ne dépassent pas certains seuils (
- Montant de la pension de réversion : il est égal à 54 % de la retraite de base de l’assuré décédé, ou encore 60 % dans le régime complémentaire de la CIPAV.
Important : Quelle que soit la caisse de retraite, il faut savoir que si le chef d’entreprise s’est remarié après son divorce, la pension de réversion sera partagée entre son conjoint (au jour du décès) et son ex-conjoint (sous réserve de remplir les conditions d’attribution), au prorata de la durée de chaque mariage par rapport à la durée globale de mariage du défunt.Ainsi, l’ex-conjoint peut profiter des droits à la retraite acquis par le chef d’entreprise après la dissolution de leur mariage. |
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