Cession temporaire d’usufruit : utilité et fiscalité

Quel est l’utilité patrimoniale d’une cession temporaire d’usufruit ?

Le recours à la technique de la cession d’usufruit temporaire a suscité un engouement de la part des conseils en gestion de patrimoine et des avocats fiscalistes pour leurs clients détenant de l’immobilier. Elle est souvent utilisée pour répondre à différents objectifs, notamment fiscaux, successoraux ou de gestion de patrimoine.

Pour limiter les possibilités d’optimisation, l’Administration a modifié, en 2012, le régime fiscal applicable à ce type d’opération.

La cession d’usufruit temporaire permet de dégager de la trésorerie immédiate

La cession d’usufruit temporaire permet à un plein propriétaire de se dessaisir temporairement, et pour une durée connue d’avance, de l’usufruit d’un bien mobilier ou immobilier, contre le paiement immédiat d’une somme d’argent.

Comprendre la cession temporaire d’usufruit

L’usufruit et la nue-propriété sont deux composantes distinctes du droit de propriété. 

L’usufruit confère à son titulaire le droit d’utiliser un bien et d’en percevoir les revenus (par exemple, les loyers d’un bien immobilier ou les dividendes d’actions), tandis que le nu-propriétaire conserve la propriété du bien sans en avoir ni l’usage, ni les revenus. 

La cession temporaire d’usufruit permet donc de dissocier ces droits pour une période déterminée et connue d’avance.
Pour aller plus loin sur le démembrement de propriété, lisez notre article “En quoi consiste le démembrement de l’usufruit et de la nue-propriété ?”.

Transformer des revenus en capital

Pour comprendre l’intérêt de l’usufruit temporaire, il faut partir d’une situation de départ : la détention d’un bien par une personne physique, par exemple un bien immobilier, soit directement, soit par l’intermédiaire d’une société civile immobilière. Cet immeuble est donné en location à une société d’exploitation dans lequel celle-ci va exercer son activité. En contrepartie, la société verse des loyers au propriétaire qui vont être déductibles de ses résultats et imposables chez le propriétaire à l’impôt sur le revenu (tranche marginale de 45%) et aux prélèvements sociaux (17,2%), soit une imposition maximale de 62,2%.

Si, au contraire, le propriétaire vend à la société un usufruit temporaire sur l’immeuble, il reçoit immédiatement une somme d’argent en contrepartie (au lieu de percevoir des loyers étalés dans le temps). Il peut placer la somme et obtenir des revenus financiers qui bénéficieront en principe d’une fiscalité plus avantageuse que celle applicable aux revenus immobiliers (grâce au prélèvement forfaitaire unique au taux global de 30%). De plus, l’immeuble sort de ses bases assujetties à l’IFI (impôt sur la fortune immobilière) pendant toute la durée de l’usufruit, puisque c’est l’usufruitier qui est imposable sur l’immeuble pendant la durée de celui-ci.

Quant à la société, elle cesse de payer des loyers, inscrit l’usufruit temporaire à son actif immobilisé et peut l’amortir. La société peut utiliser le bien ou en percevoir les revenus. 

L’usufruit temporaire est transféré pour une durée fixée d’avance à l’issue de laquelle l’usufruit s’éteint et la personne physique redevient pleinement propriétaire, sans aucune formalité ou fiscalité. Ce mécanisme peut s’appliquer à différents types de biens, notamment les biens immobiliers, les parts de société, ou encore les valeurs mobilières.

Le recours à l’usufruit temporaire a été largement utilisé pour optimiser la gestion de l’immobilier professionnel et la fiscalité du dirigeant.

Les motivations

La cession temporaire d’usufruit est utilisée dans divers contextes :

  • Optimisation fiscale : Pendant toute la durée de l’usufruit temporaire, le nu-propriétaire réduit son imposition à l’IR puisqu’il ne perçoit plus les revenus issus du bien.
  • Transmission patrimoniale : La cession concomitante de l’usufruit temporaire et de la nue-propriété peut être optimisante dans un objectif de transmission patrimoniale. La donation de la nue-propriété à ses enfants ou petits-enfants et la vente de l’usufruit temporaire à une personne morale permet de réduire la valeur de la nue-propriété transmise (de 23 % de la propriété entière par périodes de 10 ans – CGI, art. 669, II) et corrélativement, le montant des droits de donation.
  • Optimisation de trésorerie : Une entreprise peut acquérir l’usufruit temporaire d’un bien pour améliorer sa rentabilité sans alourdir son bilan par l’achat de la pleine propriété. 

Plutôt que de distribuer la trésorerie à l’associé sous forme de dividendes, la cession de l’usufruit lui permet d’appréhender le cash sous forme de plus-value de cession.

Quelle fiscalité lors de la cession d’un usufruit temporaire ?

Imposition d’une plus-value jusqu’en 2012

Jusqu’en 2012, en cas de cession à titre onéreux d’un usufruit temporaire (par vente, échange ou apport en société), la fiscalité applicable à l’opération était simple,  elle relevait du régime des plus-values selon la nature du bien démembré : 

  • régime des plus-values immobilières des particuliers en cas d’usufruit temporaire constitué sur un immeuble détenu dans le patrimoine privé ou sur des parts de SCI ;
  • régime des plus-values mobilières si l’usufruit temporaire portait sur des titres de sociétés ;
  • régime des plus-values professionnelles si un bien du patrimoine professionnel était démembré.

Le régime des plus-values permettait de ne taxer que la différence entre le prix de cession de l’usufruit temporaire et son prix d’acquisition, le tout à un taux réduit par rapport au barème progressif de l’impôt sur le revenu. De plus, des abattements ou des exonérations pouvaient s’appliquer (abattement pour durée de détention notamment).
Ce régime fiscal favorable a été totalement modifié pour les opérations réalisées à compter du 14 novembre 2012.

Le nouveau régime fiscal des cessions d’usufruit temporaire

Par dérogation aux règles d’imposition des plus-values, le produit de la première cession à titre onéreux d’un usufruit temporaire est imposable dans la catégorie de revenus à laquelle se rattache, au jour de la cession, le bénéfice ou le revenu procuré par le bien ou le droit sur lequel porte l’usufruit temporaire cédé (CGI, art. 13, 5° ).

En d’autres termes, le prix de cession de l’usufruit temporaire sera taxé à l’impôt sur le revenu comme le revenu auquel il se substitue : 

  • usufruit temporaire sur un immeuble -> imposition dans la catégorie des revenus fonciers ;
  • usufruit temporaire sur des titres -> imposition dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ;
  • usufruit temporaire sur un bien appartenant à un exploitant individuel -> imposition dans la catégorie des BIC, BNC ou BA.

La nature et l’affectation du bien ou du droit sur lequel porte l’usufruit temporaire cédé sont sans incidence sur les modalités d’imposition du produit de cession.

° Personnes visées

Ce régime spécifique s’applique aux cédants personnes physiques fiscalement domiciliés en France ou hors de France, et imposables en France à l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire :

  • ceux qui agissent dans le cadre de la gestion de leur patrimoine privé ;
  • les exploitants individuels dont les bénéfices relèvent de la catégorie des BIC, BNC ou BA ;
  • les associés de sociétés relevant des articles 8 à 8 ter du CGI (sociétés translucides de type SCI, SNC…) à raison de leur quote-part des bénéfices réalisés par la société et résultant notamment du produit de cession d’un usufruit temporaire.

Sont en revanche exclus du dispositif les cédants passibles de l’IS.

La qualité du cessionnaire est sans incidence pour l’application de ces modalités d’imposition. Il peut donc s’agir d’un particulier, d’un professionnel ou d’une société à l’IR ou à l’IS.

° Opérations concernées

Ce régime dérogatoire concerne : 

  • les cessions à titre onéreux, c’est-à-dire toutes les opérations de transmission qui implique une contrepartie en faveur du cédant, telles que :
    • les ventes,
    • les échanges, 
    • et les apports en société.
  • portant sur un usufruit temporaire, c’est-à-dire un usufruit consenti pour une durée à terme fixe.

    Deux hypothèses sont visées : soit l’usufruit cédé est créé sur un bien détenu en pleine propriété par le cédant, soit il est préconstitué du fait d’un démembrement antérieur (usufruit acquis isolément suite à une succession par exemple).
  • dès lors qu’il s’agit de la première cession à titre onéreux d’un même usufruit temporaire.

    Qu’entend-on par “première cession” ? Lorsque l’usufruit temporaire consenti s’éteint à l’arrivée du terme et qu’un nouvel usufruit temporaire est consenti, chacune de ces cessions s’analyse comme une première cession portant sur un usufruit temporaire.

    En revanche, lorsque l’acquéreur de l’usufruit temporaire cède cet usufruit pour la durée restant à courir, il s’agit de cessions successives d’un même usufruit. Seule la première cession de l’usufruit est imposable à l’IR, les autres cessions réalisées par le nouvel usufruitier sont imposées dans les conditions de droit commun applicables aux plus-values puisqu’il s’agit de cessions successives du même usufruit temporaire.

° Modalités d’imposition de la cession

Pour déterminer le montant de l’impôt sur le revenu dû sur la cession d’un usufruit temporaire, il convient de raisonner en deux étapes : 

  1. déterminer la catégorie de rattachement du produit de cession ;
  2. déterminer le revenu imposable compte tenu des règles de la catégorie.
. Catégorie de rattachement

Le produit de cession d’un usufruit temporaire est imposable dans la même catégorie de revenus que celle dont relèvent, au jour de la cession, les fruits procurés (quelle qu’en soit la périodicité) ou susceptibles d’être procurés par le bien ou droit sur lequel porte l’usufruit cédé.

Si cette catégorie ne peut être déterminée au jour de la cession, les règles sont les suivantes : 

  • imposition dans la catégorie des revenus fonciers lorsque l’usufruit porte sur un bien immobilier ou à des titres d’une personne morale non assujettie à l’IS et à prépondérance immobilière ;
  • imposition dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers lorsque l’usufruit temporaire porte sur des valeurs mobilières, droits sociaux, titres ou droits s’y rapportant, ou à des titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres (BOI-RPPM-PVBMI-10-10-10, 20 déc. 2019)
  • dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC), dans les autres cas.
. Détermination du revenu net imposable

Le revenu imposable est constitué du prix stipulé dans l’acte ou de la valeur vénale de l’usufruit temporaire si elle est supérieure.

Pour évaluer la valeur vénale d’un usufruit temporaire grevant un bien, l’Administration indique qu’il convient de déterminer dans un premier temps la valeur vénale de la pleine propriété du bien puis, dans un second temps, d’appliquer à cette valeur le barème fiscal de l’article 669, II du CGI (BOI-IR-BASE-10-10-30, 6 avr. 2017, § 190).

Les dépenses admises en déduction comme les abattements susceptibles d’être pratiqués ou les déficits catégoriels imputables sont ceux applicables dans les conditions de droit commun propres à la catégorie de revenus dont relève le produit de cession (BOI-IR-BASE-10-10-30, 6 avr. 2017, § 200).

. Taxation

Le revenu imposable est ensuite soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu dans la catégorie de revenu de rattachement (taux de 0% à 45%) et aux prélèvements sociaux. La contribution sur les hauts revenus peut aussi être due le cas échéant. Il est possible de bénéficier du système du quotient prévu pour les revenus exceptionnels afin d’atténuer la progressivité de l’impôt (Sur le quotient, V. BOI-IR-LIQ-20-30-20, 20 juillet 2016).


La cession d’usufruit temporaire est une opération complexe qui offre des avantages fiscaux et patrimoniaux, mais nécessite une analyse approfondie des objectifs du cédant et du cessionnaire. 

En transférant temporairement l’usufruit d’un bien, le cédant optimise sa fiscalité et peut anticiper la transmission de son patrimoine, tout en conservant la nue-propriété. Pour le cessionnaire, l’acquisition d’un usufruit temporaire permet de stabiliser l’exercice de son activité, renforcer ses capitaux propres, bénéficier des revenus générés par le bien sans en détenir la pleine propriété. 

Toutefois, ce type d’opérations doit être réalisé avec l’aide de professionnels du droit pour éviter une requalification par l’Administration sur le terrain de l’abus de droit.